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Suggérer le Vivant

Philippe Dummont dessine et cherche à faire apparaître, avec une grande économie de moyens, des formes organiques qui suggèrent le vivant. A la recherche d’un dessin qui crée sa propre matière vivante.

Pendant de nombreuses années, Philippe Dummont a enseigné le dessin. Le dessin d’art, le nu d’après modèle vivant. Regarder les corps, les formes, rectifier les traits des élèves, s’approcher au plus juste des formes du vivant, trouver les bonnes proportions entre un visage et un buste, etc.
C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles depuis quelques années, il a éprouvé le besoin dans son travail personnel de s’éloigner de ce corps qui pouvait pour lui représenter une trop grande objectivité. S’en éloigner, tout en gardant l’essentiel: la suggestion du vivant et de l’organique, au-delà de l’apparence globale.
“C’est sûr, aujourd’hui, l’idée de représenter un être humain des pieds à la tête ne m’intéresse plus. Ce que je cherche désormais, c’est à représenter la présence humaine par des traits, représentant de susceptibles formes organiques qui se veulent évoquer le vivant. Les renflements, les rétrécissements créent des interactions modifiant l’intérieur de l’enveloppe corporelle. En fait, avec quelques traces carbonées, l’Inexistant se métamorphose en Existant”.
Le travail de Philippe Dummont reste donc aujourd’hui centré sur des figures plus ou moins anthropomorphiques, mais dans une approche très libre où seuls comptent quelques fondamentaux du dessin: la gestion de l’espace, l’équilibre des masses, la logique du trait.
L’artiste part toujours au hasard puis brode, mais l’oeuvre a toujours ses propres exigences: “Une ligne se contracte ou se rétracte en fonction des événements avoisinants sur la feuille”. Et voilà que surgissent des formes plus ou moins précises, mais qui toutes renvoient à une matière organique. La présence humaine est là, à travers des organes, des boyaux. Parfois ces derniers s’inter-pénètrent et finissent par créer une nouvelle entité.
“Je travaille le sujet de l’auto-intrusion. L’idée aussi que tout intrus finit par modifier son environnement immédiat.”.
Pour concentrer l’effet voulu sur ses infinis détails, Philippe Dummont va volontairement à l’essentiel: il dessine, il enlève, il reprend. Il se concentre sur un motif par oeuvre, que ce soit dans ses réalisations en noir et blanc (fusain, gravure ou monotype) ou dans ses travaux en couleur (huile ou aquarelle). Pas de fonds travaillés qui pourraient distraire le regard, juste un motif qui émerge de la feuille. Quasiment jamais de titre non plus qui pourrait orienter la lecture et empêcher de s’intéresser aux détails des lignes et des volumes.
Dans les techniques mêmes, Philippe Dummont aime particulièrement celle qui permet de mettre l’accent sur l’infime, le détail qui fait basculer la forme de l’inerte au vivant: le monotype avec ses impressions fugaces: “L’idée d’effacement m’intéresse, et je trouve dans le monotype un velouté que l’on ne retrouve pas dans le dessin”. Parfois émergent des choses précises, et souvent angoissantes, comme ce grillage qui ferme un possible cylindre, ou cette structure qui évoque un hachoir… mais le reste est beaucoup plus suggéré. On croit reconnaître certaines sujets : un visage ici, un sexe là, le pli d’un coude, ou encore une queue d’animal, une tête de bétail… Quasiment jamais d’os et, pour une fois, très peu de crânes, des matériaux trop peu malléables pour s’intégrer vraiment au langage de cet artiste.
Parfois, comme dans l’un des rares travaux qui soient titrés, “transmission manifeste”, c’est un amalgame de formes vivantes qui s’interpénètrent. Folle farandole ou danse macabre, c’est selon. Les univers de Francisco Goya, Jérôme Bosch ou de Callot ne sont pas loin, mais prennent évidemment une autre résonance dans ce XXIè siècle déjà marqué par une pandémie. Le travail de Philippe Dummont arrive à point pour mettre en avant ces liens qui unissent à jamais notre époque et le passé: le vivant reste une matière fragile, toujours menacée et les derniers événements ont montré qu’il serait bon de ne pas l’oublier.
Dans chaque monotype, la forme semble posée sur un socle blanc et prend dès lors une vraie matérialité, n’attendant plus que le sculpteur pour la réaliser en trois dimensions afin qu’elle intègre ensuite quelque chapiteau roman.

Difficile de dire si l’artiste a voulu que l’on voit ses formes, si lui-même les a imposées d’emblée sur le papier, ou si c’est davantage le cheminement du fusain qui, cherchant à donner vie aux traits, a fini par les trouver.
Car le travail de Philippe Dummont, s’il affirme la présence insoupçonnée du vivant un peu partout, affirme encore davantage la toute puissance du dessin, qui parvient à suggérer le vivant à base de quelques infimes coups de crayon.
Anne Devailly ( 2020)

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